Portrait réalisé par Stéphane Casalis

Photographe sans appareil depuis quelques années, Aline Héau construit le réel autant qu’elle en rend compte, en menant des expérimentations méthodiques sur le medium.

Après une période passée à photographier des nus, en argentique, elle s’est engagée dans une collection de négatifs anciens dont une partie est accessible en ligne. Parmi les trésors vernaculaires chinés sur les brocantes, quelques curiosités surgissent, qui conduisent cette surdouée de l’auto-apprentissage à approfondir certains procédés anciens, puis à améliorer leur rendu par étapes. Le cyanotype est un de ses favoris, qui lui offre un terrain de recherche et de création à la fois : tentant d’obtenir les fameuses images bleues sur du verre, améliorant leur densité et leur luminosité, elle explore le motif d’une série de végétaux posés directement sur la plaque de verre. Les productions qu’elle en tire atteignent des niveaux vertigineux de précision.
Mais la technique maîtrisée ne suffit pas à l’art, – L’homme en tant qu’esprit se redouble disait Hegel – et l’artiste doit pousser sa pratique vers les questions ontologiques du photographe et du peintre : représenter le mouvement, questionner la sensation d’espace, frôler l’abstraction. Les images récentes reposent sur une dialectique fascinante entre l’illusion spatiale et la persistance d’un matériau physique. Ce programme ambitieux est porté par une double énergie : l’émerveillement pour l’image et la rigueur de la recherche scientifique. Patience dans l’azur.

Texte de Françoise Lonardoni


Aline Héau est une artiste visuelle française spécialiste du cyanotype sur verre. Depuis bientôt dix ans, son travail a pour objet la nature et plus particulièrement son esthétique. 

Diplômée en histoire de l’art à La Sorbonne-Paris I, elle a étudié la sculpture du début du 20e siècle, et l’expression en volumes par l’Avant-Garde : son mémoire de maîtrise a porté sur “La figure du nu chez Henri Gaudier-Brzeska (1891-1915)”. Cet intérêt pour le volume allié au mouvement et à la lumière s’est poursuivi à travers la création de mobiles, puis son travail photographique sur le nu. 

Depuis 2007, sous le nom du “Chronoscaphe” (https://lechronoscaphe.com)  elle collectionne les photographies anonymes du XIXe siècle aux années 1940. La collection, qui compte aujourd’hui 100 000  négatifs sur plaques, films, autochromes et vues stéréoscopiques, lui permet d’étudier et valoriser les processus historiques des techniques photographiques. Le site internet dédié présente les images les plus remarquables de la collection et des analyses historiques et critiques, dont  “L’Exposition internationale des arts et techniques appliqués à la vie moderne, 1937”, “Les portraits cartes de visite”, « L’Éthiopie en 1910”, “La mode des années 40”, “La photographie des congés payés”, “Les autochromes : les débuts de la photographie couleur commerciale”. Le site est référencé dans des publications spécialisées, dont le MOOC culturel  réalisé par le RMN et la fondation Orange ”Une brève histoire de la photographie” et des images de la collection font partie du fond de de référencement des chercheurs du Musée d’ethnographie de Genève. 

En 2016, Aline Héau a commencé son travail au long cours “L’Herbier bleu”, réalisé au cyanotype, procédé historiquement lié aux végétaux par le travail de la botaniste anglaise Anna Atkins (1799-1871), qui avait réalisé un alguier en cyanotypes, le premier livre photographique. “L’Herbier bleu” est un catalogage systématique des plantes qui poussent en milieu urbain, des adventices messicoles (plantes envahissantes des champs), du couvert herbacé, des invasives. En se rapprochant du travail de Karl Blossfeldt (1865 -1932)  sur l’esthétique de la nature valorisée au rang d’œuvre d’art, elle magnifie la banalité du vivant. « L’Herbier bleu » a été exposé pour la première fois en France en 2020 aux Promenades Photographiques de Vendôme, à Nanjing, Chine, pour “The Blue Dream Written by Light”, exposition rétrospective historique sur les cyanotypes, au Musée du Revermont pour l’exposition « Herbiers. Mémoire végétale » ou encore au Musée Mallarmé. Le travail a intégré la collection Madeleine Millot-Durrenberger (Rocheservière, France).

Elle a été sélectionnée  en 2019  pour être l’artiste plasticienne invitée de la saison musicale 2020/2021 du Concertgebow de Bruges. Cette carte blanche exceptionnelle lui a permis de travailler sur la biodiversité, thème de la saison. Ses images ont été utilisées pour le catalogue et la communication de la philharmonie et les cyanotypes sur verre créés à partir de spécimens locaux ont été exposés pendant toute la saison. Aline Héau a créé une installation in situ composée d’une multitude de bandes de cyanotype sur papier de soie réalisées dans son atelier et suspendues dans la montée vers le grand hall. 

En 2021, “L’Herbier bleu” a été montré à la Biennale de Photographie en Condroz (Belgique). Les plaques, exposées en extérieur, ont été soumises aux conditions naturelles et la détérioration dans une démarche d’expérimentation et de monstration maximale des interactions chimiques et naturelles.

Depuis 2020, avec son projet “Le Péril bleu, ce qu’il y a entre nous et l’espace” (en référence au livre d’anticipation éponyme de Maurice Renard), elle utilise du sable pour produire des ciels étoilés en cyanotypes sur verre et créer des paysages cosmiques. 

En 2023/24, elle accompagne des collégiens sur un projet d’éducation artistique et culturel (EAC) pour lequel la technique du cyanotype est portée sur des feuilles transparentes en polyester. Cette même technique est utilisée pour deux installations présentées lors du Mois de la Photo à Belfort (France) en 2024.


Le travail d’Aline Héau est présenté dans les livres “Cyanotype Toning: Using Botanicals to Tone Blueprints” (2022, Annette Golaz, éditions Routledge) et “Cyanotypes – Appropriations contemporaines”(2022, éditions Artfolage).